Nous ne retournerons pas à Tombstone

Ils s’étaient rapprochés de Tombstone.
Ils avaient été si proches du campement.


Youenn ne rêvait que de se prélasser au bord de l’oasis comme à son habitude, lorsqu’il était encore à la cueillette, avec Talia.
Youenn ne rêvait que de pouvoir se retrouver enfin au fond du trou avec les glandeurs invétérés ne pensant qu’à jouer aux dés.

« Les chanceux » se répétait-il en permanence dé lors qu’il entendit parler de l’ambiance distractive réglant la vie au sein de la grande communauté.
Et lui ne pensant qu’à se relaxer, devait bûcheronner.


Ariel était venu en disant qu’ils quitteraient la forêt. Il fallait ramener le bois. Ils s’étaient dirigés vers le sud.
Heureux était Youenn rien qu’à l’idée de retrouver le sable chaud à l’ombre des palmiers sur les bords de l’eau.

Aux portes de Tombstone était venus les ravitailler son vieux camarade Josep, et toute une bande. Et ils avaient chacun fait demi tour pour repartir d’où ils venaient.


Sur le chemin du retour, le jeune homme ne cessait de marmonner en direction de ses compagnons :

‘tain bordel ! J’aurais du m’en douter ! C’était trop beau pour êt’e vrai !!
‘faut qu’j’me tape l’turbin pendants qu’eux i’s’branlent les couilles !! Ouai super !! Merci les gars !!

‘tain !

Couper, couper, couper, et encore couper… ! A part ça qu’dal !
Y a tell’ment rien, qu’y a même pas un connard pour v’nir nous faire chier ! C’est vous dire !!

‘tain bordel !!


Youenn traînait des pieds ainsi tout le long du voyage, de temps en temps donnant des coups dans des petits tas de sable ou de terre ci et là.

L’arrivée en forêt n’en fût pas moins exempte d’impolitesses :


A y’est ! On peut se’remettre au taf ! Bordel !

Ho bordel !! J’ai pas pris d’médocs !! Super l’ravitaillement ! Super !!
Maint’nant j’ai plus qu’chi !! J’vais pouvoir crever en f’sant du bruit au fond des bois !!

Cazaril avait quitté le groupe de bucherons lorqu'il était aux portes de la ville, afin de suivre la fouine mutante d'Adus. Il en avait profité pour inspecter un peu la zone - sans trop de succès - mais il avait été surpris par les patrouilles venues effectuer le ravitaillement avec le groupe des bucherons.

Il observait l'organisation humaine que devenait petit à petit Tombstone. L'abris au pied du lac, servant de réserve aux premiers habitants, était devenu un grand bâtiment avec des mûrs solides. Les tentes et les cartons étaient remplacés par de jolis petits cabanons. La terre, sèche, aride, commençait à se creuser de sillons à cause des nombreux pieds, qui chaque jours, foulaient le sol de Tombstone.

Y pas à dire. Ca commençait à grouiller, à piailler, à puer. Ca commençait à ressembler à ce que Cazaril détestait le plus au monde : un lieu où la civilisation recommençait à se batir.

Bordel, dire que j'ai parcouru l'Corpus toute ma foutue vie pour voir ça. C'est pas une vie ça.

Au loin, les cris de rage de Youhen retentissent. Le groupe d'Ariel se remet en marche, en direction de la forêt.

Hé, Ariel, gamine ... attend-moi. Couper du bois, c'est plus d'mon âge, pour sûr. Mais bordel, plutôt faire ça que d'rester à moisir dans cette putain d'ville remplie qui pue l'progrés. L'vieux Cazaril préfère encore supporter les caprices du blondinet que d'aller faire son être humain sociable au milieu d'la foule des Stoniens.

Peu bavarde ces derniers temps et très occupée à se maintenir au top de la mode sexuelle du désert, Ariel dirigeait son groupe sans un mot, ce qui ne manquait pas de lasser la compagnie et surtout de causer tout un tas de problèmes d'organisation.

'llez, on y r'tourne. Lâche-t-elle laconiquement après le ravitaillement.
De toute évidence, la civilisation, ça ne lui convient pas beaucoup, non plus...

La vie dans les bois, y a qu'ça d'vrai.

Et arrète de chialer Youenn. Tu fais c'qu'est en train d'te rendre riche, mon vieux. Bientôt t'iras bâiller aux corneilles pendant qu'les autres triment pour te nourrir.

D’m’enrichir, d’m’enrichir…

Et toi ça t’a enrichie l’cerveau mais champis d’la grosse Gertrude la mère d’se’connard d’sous-mariniers d’la Kriksmarine ?

Et ouai Gertrude, j’t’avais dis qu’j’les gard’rais, mais j’ai pas pu.

Et d’puis quand ça enrichie des troncs d’arbres et des branches ?


Ariel tend des médocs à Youenn.

Etonné et content d’en recevoir :


Ha merci… ! Enfin une bonne âme qui pense à moi !! R’gardez vous autres !!

Mais ça va pas t’foutre la merde d’me donner autant ? Tu m’diras, si tu dois jeûner…t’en auras plus b’soins.

Assis à l'ombre d'un grand arbre, Cazaril écoute Youenn, attentif aux paroles de ce jeune homme avec qui il a peu discuté jusqu'à présent. Après quelques secondes, son regard se ferme, et il se tourne vers Ariel en secouant doucement la tête.

Dis Ariel ... gamine, tu comprends quelqu'chose à c'qu'y dit l'blondinet ? Qu'est-ce tu lui as filé comme dope mal coupée encore ?

Calmé grâce à la fraîcheur que procurent les arbres et leur manteau de feuillage, et la récupération de médicaments faisant tant défaut, il prend sur un ton ironique :


Alors l’vieux barbu ! On se’dit encore assez en forme pour couper du bois, mais on est plus capable d’suivre se’qui passe ?

Bha ça va promettre la gestion d’coupe !

Si j’te d’mande d’maider pour un truc, tu vas oublier ? Déjà qu’t’oublis l’existance d’ta propre fille…

Cazaril se tourne vers Youenn, le regard noir. D'une voix sourde et bouillante il prend la parole.

Ecoute gamin, j'ai pas d'fille, pigé ? Qu'Maxine se soit attaché à moi et qu'elle m'prenne pour son père, j'vois pas l'problème. Et j'vois pas pourquoi j'lui dirais qu'c'est pas l'cas.

Mais toi, l'blondinet, t'as l'air d'être un peu plus solide qu'la p'tite Maxine. J'vais pas t'raconter d'bobards. Alors tu m'en racontes pas, toi non plus. Que tu sois sous champis ou pas. Ca change rien.

Reprenant son calme.

Et sinon, tu veux demander quoi au vieux Cazaril ?

Apposant sa main sur l’épaule du vieux barbu, Youenn s’exclame en rigolant.

Ha vous les vieux !! M’avez t’jours fait rire à êt’e t’jours décalé !! Vous comprenez jamais rien … héhé.

T’inquiète ! Pour l’instant j’ai rien a t’d’mander … un jour viendra où par contre t’aura l’honneur d’me porter main forte … héhé …

Ach chenapan!! Fous afez refilé mein champott' à Melle Tombale? Grand pien fous prenne, je n'en ai rien à foutre!! Par contre j'aurais effectifement aimé être préfenue afant par simple correction!

Bar gontre, che fous interdit de parler en ces termes inzultant de mon bedide Herman!!! Ou il fous en coutera plus qu'une semaine de bucheronnage!

L’air dépité, attristé, comme personne ne l’avait encore jamais vu. Youenn abattu, les yeux baissés, s’adresse àl'ensemble des bûcherons :

Oaui, ‘xcuse Gertrude … pour les champis ça s’est fait un peu dans la précipitation, pour ton Hermann, en fait j’men branle j’le connais même pas …

Mais y a plus grave !!

C’est Talia … En écoutant ma radio, dans un bordel pas possible, j’ai cru comprendre qu’elle avait été sortie d’l’enclave de Tombstone … C’est fait … elle est d’venu trop contagieuse … elle va aller finir ses jours dans la solitude et les souffrances d’la phase terminale d’sa maladie …

J’pensais pas qu’ça en arriv’rait jusqu’là … vous savez, elle était la première personne qu’j’ai rencontré en sortant d’mon trou, et puis on a essayé d’survivre ensemble avant d’venir ici … s’en est passé des choses …


Esquisse un léger sourire en se remémorant le passé, la tête levée au ciel, puis revient à la réalité.


On était assez proche … j'crois bien … Cazaril, si tu peux faire un truc pour moi, -j’pensais pas te d’mander aussi tôt un truc- c’est d’bien sout’nir ta fille. Comme tu l’a dis, j’suis un grand garçon, j’devrais m’en r’mettre. Mais elle j’sais pas …
Elles s’aimaient, et j’pense avoir été l’seul ami d’Talia, même pas là pour être avec Maxine, qu’a pas son père … la pauvre …


Il laisse un moment de silence … regarde Ariel.


J’veux qu’elle soit enterrée, avec une vraie tombe !! Et qu’Adus s’amuse pas à la toucher !!
Sinon … sinon j’le bute !!!

HS à l'ombre d'un arbre, joint de plastique au bec, les yeux et le visage vert d'eau, Ariel cherche les poux dans la crinière d'Oh Dae-Su. Elle suit vaguement la conversation.

Han, ouais, c't'une bonne idée, ça...

Le problème, c'est qu'elle nous gâche des kilos d'vivres, celle là ! Ca rattrapperait l'temps perdu si on la foutait au barbec' !

...m'enfin elle nous a ramenés Josep, toi Youenn, et quelques autres assez utiles... Elle mérite bien ça. J'vais regler ça avec Sunetra. Faudra qu'elle tienne Adus en laisse le temps de l'enterrement. Ca va lui paraître un véritable sacrilège, à mon p'tit monstre...

Filez-moi ma radio, j'm'en occupe de suite !

Après un long message à la communauté Ariel finit par :

Maint'nant j'crois qu'Cazaril et Youenn veulent dire un mot aussi. Tenez les gârs, allez-y.

Elle vous regarde et vous tend le micro.

Après l’annonce d’Ariel concernant le départ proche, Youenn la prend à parti sans se cacher de tout le reste du groupe :


Une lance c’est tout !! 10 réserves j’men branle !! Tant qu’j’suis avec vous j’partge, et vous pareil, mais juste une lance !?!
On est pas censé êt’e là pour des arcs ?! J’me nick l’dos, j’ai des ampoules aux mains, j’travail en chantant « Ariel Tombale est trop bonne pour moi je ne pourrais jamais la baiser » pour m’motiver, et t’nir l’coup sans jamais avoir d’pauses syndicales, et on a quoi ?!? Des bouts d’bois pointus !! Et j’parle pas d’mes courbatures …

‘tain ! 'reus’ment qu’j’aime bien Tombstone !!
Et moi qui rêvais secrètement à mon arc pour pouvoir jouer aux indiens… !

Ah c'est ça, tu veux m'niquer, c'est pour ça qu't'es pas parti avec Calypso ?! Eh bah elle est belle, la jeunesse !

Figure-toi qu'j'vais bientôt mettre en place une grille de paiements, "mon pote", et qu'ta lance, là d'dans, tu t'plaindras pas d'l'avoir !

Mais a ta place, si tu veux un arc, j'commencerais par faire quelques pompes, pasque tu vas finir avec une couille en moins dès la troisième flèche que tu vas tirer, et quand tu rentreras dans ton teepee, Geronimo, c'est aux indiennes que tu joueras !

Sourire en coin.

T’sauter ?! Haha !! Susceptible une meuf sous champis !
Ca m’arrive aussi d’chanter « J’aime la nature j’encule les bûcherons » et pourtant ‘l est pas arrivé dans mon cul mon z’gègue ! Haha !!

Allez ! File moi ta lance ! Y a bien un blaireau qui m’l’échang’ra cont’e son arc !!

Prenant la lance que lui tendait Ariel :

Hô nan, j’voulais pas celle là ! J’voulais l’autre ! … Nan j’déconne !!

S’éloigne reprendre son travail :

N’empêche qu’j’aurais préféré un arc … hihi qu’est ce’que j’frais pas pour l’énerver …