Premier sang versé.

Josep s'était réveillé tôt. En fait guère plus tôt que d'habitude à bien y réfléchir, mais c'était l'impression qu'il avait. Son sac était prêt, son arc aussi. Son arc, comme s'il lui servait à quelque chose. Il hésita à l'emmener puis le mis sur son dos, son carquois à la ceinture. On ne savait jamais, il pourrait s'entraîner au bivouac.
Il ferma la porte de la salle du fond et sorti du bar qui était encore vide à cette heure de la journée. Sa première étape fut d'aller au mirrador, il traversa ce qui servait de rue et qui pour le moment était gelé et couvert de neige, peut être aurait il la possibilité d'apercevoir un éventuel feu dans l'obscurité de cette fin de nuit. Après avoir constaté que personne n'attendait au lieu de rendez vous, il redescendit un peu rassuré, ils étaient dans les temps. Il avait parlé à ses équipiers la veille au soir et constaté que chacun était prêt. Il se rendit à ground zéro et attendit leur arrivée, assis à coté du tas d'outres qu'il avait rassemblé la veille, le dos collé au mur. Contre celui d'en face, des sacs de médicaments et de nourriture attendaient sagement Nova et Ed'. Le jeune homme commençait à piquer du nez quand Edwin entra, suivit de peu par Nova. Josep bailla et les salua

Salut les gars, comment va ? Parés à braver le froid.

Ils prirent leur chargement et attendirent que Josep se lève pour sortir, puis tout trois rejoignirent Sydney qui attendait près de la porte de la ville. Elle trépignait sur place pour se réchauffer mais les suivit quand ils passèrent à ses côtés. Josep la salua elle aussi.

Salut Syd', tu nous refait pas le coup de la dernière fois hein. C'est valable pour vous aussi les gars, j'ai pas envie de perdre quelqu'un, même si y'a pas l'air d'avoir de tempête à l'horizon.

Smurfette semblait les suivre par habitude, le regard dans le vide, les gestes ralentis, la bouche sèche et le teint pâle. C'était décidé, si le voyage ne la ramenait pas à la raison, Josep l'abandonnerait à l'oasis au retour, quitte à lui donner un bon coup derrière la nuque. S'il en était capable, mais pour l'instant seule sa décision était prise, il n'en était pas encore à devoir passer à l'acte. Le groupe commençait à être habitué à la progression dans la neige, d'ailleurs celle ci était facilitée par le beau temps ambiant. Un pâle soleil éclairait le désert couvert de neige et un ciel sans nuages ; la petite caravane avançait en file indienne, changeant régulièrement de meneur pour s'économiser.
Lors de leur dernière rencontre, les bûcherons et les puisatiers avaient convenu de conserver leur lieu de rendez vous, il était protégé des vents par un surplomb rocheux. Ed' menait la troupe quand ils y arrivèrent en début d'après midi. Aussitôt ils firent un feu grâce au bois stocké à cette fin lors de leur précédent passage. Le foyer mis quelque temps à se stabiliser mais bientôt tous les cinq se blottissaient à ses côtés dans l'attente de leurs concitoyens, même Smurfette qui semblait garder quelques réflexes primitifs de survie. Ils papotaient quand la voix mélodieuse de Balmeyer signala l'arrivée de son groupe. Il était beaucoup plus tard que prévu et ils furent forcé de passer la nuit dehors cette fois encore.
Une longue, froide et ennuyeuse nuit pensa Josep quand il prit le relais d'Ageia à la veille. Il remis une bûche au feu, et tenta de s'installer confortablement. Au moins il n'y avait pas de vent, c'était la seule consolation qu'il trouvait à la situation. La fin de son tour approchait quand il entendit un bruit qui le tira de ses pensées un peu sur sa gauche, quelque chose avait bougé. L'avantage de la neige, c'est qu'a peu près tout fait du bruit dessus, sans compter que tout se détache sur un fond blanc. Quelqu'un ou quelque chose approchait et Josep allait être fixé très vite. Plus vite qu'il ne l'aurait cru en fait, le barman avait à peine enlevé son arc de ses genoux en se levant prudemment qu'un gars se jetait sur lui avec un énorme bout de bois, peut être tombé du chargement des punks.

Sacré bord'...

La massue improvisée s'abattit a l'endroit même ou Josep se tenait quelques secondes auparavant. Il avait beau être un piètre combattant, la soixantaine de lune qu'il avait passé derrière le bar lui avait appris a éviter les coups d'ivrogne, les lancers de chaises et le reste de la grande majorité des attaques de baston de bar. L'autre parut surpris d'avoir manqué son coup. Josep se relava en criant, couvert de neige sur tout un côté.

Débout les mecs ! On a un ...

Cette fois ci le coup était circulaire, Josep eu a peine le temps de se baisser. Apparemment l'agresseur en voulait à sa tête. Fallait il être con pour s'attaquer seul à huit personnes dont sept en état de combattre, et tous n'étaient pas aussi mauvais que lui. L'appel du barman n'eut pas d'effet immédiat, il allait devoir se débrouiller seul encore quelques secondes. Il décida d'essayer de raisonner le mec, après tout ils n'avaient pas de raison de se battre, ils ne s'étaient jamais vus. Josep essayait de rester à distance du furieux. Son arc à la main, inutile.

Écoute mec, je sais pas c'que tu veux, mais t'as aucune raison de nous sauter dessus surtout que t'as aucune chance de t'en sortir.

L'autre ne répondis rien, il se contenta de s'approcher alors que Josep reculait. Autour du feu les Stoniens commençaient à bouger. Edwin se leva le premier et Josep ne put s'empêcher de penser: "pourquoi Ed' bon sang, il est aussi nul que moi!". Le blondinet essaya de ceinturer l'ennemi mais sans succès, il fut projeté à terre. Les autres semblaient seulement comprendre ce qui semblait se passer, Josep jura.

Putain, c'est la dernière fois que j'amène de la gnôle bordel de merde !

Josep choisit une flèche et banda son arc alors que l'agresseur se désintéressait d'Ed', non sans lui avoir mis un magistral coup de pied dans les côtes et un autre dans la tête, Ed' geignit à chacun des impact. L'adversaire s'approchait trop vite pour que Josep puisse tirer. Crétin, crétin, crétin, un arc au corps à corps, a-t-on idée d'être aussi con, cette pensée bien que lucide fut un peu tardive et il n'évita pas le coup de batte suivant qui le frappa à l'épaule gauche. La douleur se répandit immédiatement et il chancela sous l'impact.

... Culé. Qu'est c' tu veux.

Le jeune homme jeta son arc, derrière lui, il avait toujours sa flèche à la main. Pourquoi n'avait il pas gardé sa lance ? Une bonne lance, de celle qui permettent de mettre un seau de chaque côté pour le boulot et de faire sortir les viscères d'un mec dans ce genre de situation. Le coup suivant manqua Josep de peu mais le fit tomber sur le dos. Le contact avec le sol lui fit perdre son souffle et augmenta sa douleur à l'épaule, la neige avait à peine amortie sa chute. L'autre leva sa masse improvisée aussi haut que possible et s'apprêta à frapper, puis vacilla et lui tomba dessus ; un Nova pas très frais venait de le heurter dans le dos. Pour être exact, il lui avait fait une sorte de placage. Josep roula et évita une partie du corps de l'agresseur. Nova gisait à côté un peu sonné par sa propre attaque. L'autre se relevait déjà, lui jeta un regard mauvais et le saisit par le bras gauche, Josep essaya de se dégager mais son adversaire le saisit au cou de l'autre main. Cette fois ci, Josep su qu'il n'avait plus le choix, il devait tuer ou être tué. Ils avaient déplacé le combat loin du bivouac, et la combinaison entre la distance et l'obscurité fit que la lance d'Ageia atteignit la cuisse de l'autre mais l'entailla seulement, il grogna et serra plus fort. Josep commençait à étouffer quand il fut résolu, il serra bien fort la flèche qu'il avait encore dans sa main droite et la planta de toutes ses forces dans le coup de l'agresseur. Son visage eut d'abord une expression surprise, il voulu crier mais aucun autre son qu'un gargouillis infâme ne sortit de sa bouche, suivi de près part un flot de sang. Josep retira sa main de la flèche, elle aussi était couverte de sang, tout comme sa manche. Il repoussa le corps sur le côté et se massa le cou, allongé dans la neige les yeux fermés, à ses côtés l'autre rendait son dernier soupir en tressautant dans son propre sang.
Il entendit les autres arriver. Ageia lui dit que Sydney et Damanekh s'occupaient d'Edwin. Balmeyer mis un coup de ranchos tardif dans le corps sans vie de celui qui les avait attaqué. Le barman voulu parler mais compris qu'il devrait attendre un peu avant de pouvoir le faire. A côté de lui Nova se relevait et se frottait le crâne.

Plus tard, le jour levé, Josep se lava et se dirigea vers le cadavre, apparemment il avait été éloigné encore plus loin du bivouac et ses poches avaient étés vidées. Il retira la flèche l'essuya dans la neige et la rangea, le corps avait déjà durci, effet combiné de la mort et du froid de l'hiver. Il commença à ramasser des pierres pour l'enterrer puis se retourna vers les autres en parlant de sa voix éraillée.

Je l'ai tué je l'enterre. C'est comme ça... Je dépèce pas les gens moi, même quand ils ont voulu me tuer.

Il toussa et continua sa tâche. Ensuite lui est ses compagnons firent l'échange convenu et se répartirent le bois, puis finalement se mirent en route pour la ville. En chemin, la radio du barman grésilla et la voix de Youenn se fit entendre. Il était de retour au bercail et le cherchait. Josep pressa le pas, il attendait ça depuis bien longtemps. Un bon feu et un verre avec un ami, oui, c'était un bon programme.